dimanche 28 août 2011

Pinocchio 1





Gérard Genot


(re)Lecture
de
Pinocchio


Reproduction autorisée
2008




Avertissement



Je reprends dans cet opuscule ce qui, à mon estime d’aujourd’hui, reste d’un méchant petit livre (Analyse structurelle de "Pinocchio", Pescia, Fondazione Nazionale C. Collodi, 1970, 151 p.) commis à l’étourdie il y a quarante ans, et, avec quelques autres, ‘soutenu’ – comme on dit, mais plus par leur bienveillance que par mes arguments – devant les Professeurs Gianfranco Folena, Algirdas Julien Greimas, Claude Margueron et Paul Renucci.
À leur mémoire, ainsi qu’à celle de Felice Del Beccaro, qui l’avait accueilli et publié, est dédiée cette nouvelle comparution, dont le but, sinon le mérite, est avant tout de faire sonner les noms de ceux qui ont bien voulu le discuter avec moi.
*
Bâclé, jargonnant, embarrassé de précautions pré-doctorales, encombré de discussions aujourd’hui périmées depuis longtemps, hérissé de formalismes aussi trébuchants que sonnants – c’était aux pires moments de la mode ‘structuraliste’, et j’y donnai, ma foi, tête baissée, avec complaisance et vénalité –, ce libelle fit en son temps son tout petit bruit, et fut notamment discuté et contredit par Emilio Garroni  et par Fernando Tempesti (v. Bibliographie).


Emilio Garroni me reprochait – à juste titre – d’avoir méconnu le fait qu’il y a deux livres dans Les aventures de Pinocchio ; le premier s’arrête au Ch. XV, avec la pendaison de Pinocchio : c’est une histoire tragique, une course à la mort. Le second, en reprenant le récit et en le continuant (après une longue interruption, et une vague de sollicitations qui rappellent celles qui suivirent la « mort » de Sherlock Holmes), modifiait profondément le sens de la (désormais) première partie, et c’est une histoire toute différente, où comme dans les dessins animés, les événements sont réversibles et le récit se constitue moins par implication déterministe que par répétitions cycliques. Je n’y avais vu que du feu, et je dirai donc que ce qui suit n’est une analyse que du second Pinocchio ; je maintiens que ce que j’y voyais y est :  et je donne acte à Emilio Garroni qu’il y a autre chose, avec la gratitude qu’il convient d’éprouver envers qui vous montre quelque chose de plus que ce qu’on avait vu dans un livre pourtant maintes fois relu.


Fernando Tempesti, le plus minutieux connaisseur de l’œuvre de Collodi, a contesté globalement le bien-fondé de mon analyse : pour lui, la ‘structure’ sous-jacente de Pinocchio n’est autre que les dialogues de théâtre de Stenterello. Je suis tout disposé à l’admettre (mais v. l’Annexe à cet Avertissement). Seulement, je ne vois pas comment les deux ‘structures’ pourraient être exclusives l’une de l’autre : celle que j’ai cru identifier se situe au plan ‘profond’ de la logique du récit (représentation d’une suite d’actions), celle que Fernando Tempesti a voulu y reconnaître se situe au plan du discours du récit (représentation de la logique des actions dans une substance de l’expression, ici la matière verbale, ailleurs la matière visible des images projetées ou de la bande dessinée). Au reste, F. T. traite de la parole rapportée, dialogues ou résumés effectués par un personnage, et non de celle du narrateur. Il s’ensuit, que sans m’aventurer à contester l’assimilation qu’il opère, je déclare que celle-ci est sans influence sur le plan d’analyse auquel je me suis placé – mais non, cela va de soi, sans intérêt.

*


Cela dit, je n’ai pas manqué de me critiquer moi-même, et certes il y avait matière.
La rédaction nouvelle que je présente résulte des années de réflexions et d’analyses d’autres textes, et applique les idées sur la littérature et le récit que j’ai essayées, expérimentées, illustrées et enseignées au cours des années qui ont suivi.
Elle est, par certains côtés, plus brève que la première, car je l’ai désencombrée de discussions ‘théoriques’, largement dépassées et que je remplace par un renvoi global à ma Grammaire et Récit, Essai de Linguistique textuelle (Nanterre, Publidix, Doc. du CRLLI, n. 32), qui justifie (en partie a posteriori) les catégories et les raisonnements auxquels je recours.

En revanche, des modifications plus considérables ont été introduites.
En premier lieu, j’ai dû effectuer un découpage plus rigoureux des ‘séquences’ du récit ; le premier que j’avais opéré manquait à reconnaître certains procédés, comme les redoublements internes ; il s’ensuit que le nombre des séquences est moindre que je ne l’avais cru ; et cela laisse une trace que je n’ai pas cru bon d’effacer : les lettres qui désignent les séquences n’ont pas été changées, de sorte qu’on lira A, B, C, D, E, F, K, N, O, Q – les séquences fort défectives jadis nommées G, H, I, J, L, M, P m’apparaissant maintenant comme parties intégrantes d’autres, où elles constituent des réitérations internes.
En second lieu, j’ai complété l’analyse de l’énonciation et de la topographie-topologie, et développé les considérations sur le corps de Pinocchio.


Le texte utilisé est : Collodi, C., Le avventure di Pinocchio, Torino, Einaudi, 1968, préface de G. Jervis, mais pour permettre l’usage d’autres éditions, je limite les renvois aux chapitres, qui sont assez courts, 7, 7 p. en moyenne).



Annexe

(Je reproduis ici en partie l’article publié dans Wikipédia par un auteur que je n’ai pas pu identifier, et qui discute de façon pertinente la question des relations entre Pinocchio et le théâtre de Stenterello. Que l’auteur inconnu soit remercié. Si ce livre tombe sous ses yeux, j’aimerais qu’il se fasse connaître pour que dans une édition révisée je puisse lui rendre son dû.)


Pinocchio et le répertoire de Stenterello
La question des rapports entre le répertoire théâtral de Stenterello et Lorenzini, en ce qui concerne Pinocchio nécessite une mise au point. Il est certain que, comme tout bon florentin, Collodi connaissait très bien ce répertoire en tant que spectateur. Mais il le connaissait encore plus parce qu’il lui passait entre les mains en Préfecture. Il était en effet chargé de l’approbation (obligatoire) des manuscrits des comédies qui devaient être jouées en public. […]
L’histoire de Stenterello est plutôt complexe. Le personnage fut inventé à la fin du XVIIIe siècle, par Luigi Del Buono (auteur des premières pièces, excellentes bien que méconnues) et repris ensuite par d’autres acteurs dont Lorenzo Cannelli et Augusto Bargiacchi furent parmi les premiers. Ainsi, en 1821 Cannelli acquit auprès de ce même Del Buono les pièces que celui-ci avait représentées avec succès pendant toute sa carrière.

Ces acteurs donnèrent vie à un second Stenterello, beaucoup plus serein mais moins vigoureux bien que plus « populaire » au sens moderne du terme. Et pour suppléer à la demande toujours plus grande du public ils écrivirent ou firent écrire d’autres pièces, dans un éloignement continu et régulier du ton initial. Bien vite on arriva à un type populaire (au mauvais sens du terme), qui confina souvent à la superficialité et aux effets faciles. Même les premières pièces de Del Buono, furent manipulées, « modernisées », allongées ou raccourcies. Il existe encore aujourd’hui des centaines de pièces qui témoignent de ce procédé populaire, et qui vont jusqu’à la fin du XIXe siècle.

Dans les rapports qui existent entre Pinocchio et Stenterello ce ne sont pas les thèmes, les trames, les actions dramatiques qui sont intéressants, mais le style, c’est-à-dire d’une part la progression du tour de phrase, de la réplique, du discours, du monologue et d’autre part, le processus technique ou mieux la formule pour créer une situation. Eh bien l’on constate que les pièces changent après l’apparition et l’énorme succès de Pinocchio.
La traditionnelle « stenterellata » est bouleversée à la fin du siècle et apparaît un monde nouveau de rapprochements imprévus, de retournements de situations, de logique « illogique » du pantin et de tout le discours collodien. Naissent des rapprochements d’abord impensables, pour mieux dépeindre Stenterello, la technique de l’absurde primaire, bébête, simplificateur, avec sa cohérence stricte mais toujours appropriée, très efficace surtout en ce qui concerne le résultat comique. Le discours et le mode d’agir de Stenterello deviennent imprévisibles, comme déjà celui de Pinocchio. Les comédies de Stenterello n’étaient pas des chefs-d’oeuvre. On ne s’y intéresse pas dans ce cadre pour leur valeur, mais ces documents ne contredisent pas l’idée que Pinocchio a beaucoup influencé, dans les décennies suivantes, le théâtre de Stenterello […].
Les monologues de Pinocchio ne trouvent pas d’équivalent, à l’inverse de ce qui a pu été dit par certains, dans les monologues de Stenterello. Ces derniers sont une autre chose : ce sont des jeux de mots comiques très intellectualisés qui ne décrivent aucune action, avec des racines dans le théâtre encore embourgeoisé du XVIIIe. Pour tous, les Stenterello perdurèrent de la sorte en ne changeant ni leur but ni leur style. Les monologues de Pinocchio sont par contre calqués sur les discours ou mieux sur les lettres que pourrait très bien rédiger une simple personne qui se mettrait à écrire en racontant à d’autres ses propres histoires. […]




Introduction

La procédure de découverte n’est pas l’objectif de ce travail. Elle a été suivie, approximativement, selon des principes qui sont exposés ailleurs (v. Grammaire & Récit, dans cette même collection, Chap. VIII, part. p. 237-250, désormais G&R).
L’analyse que je présente repose sur des opérations de réduction (résumé), schématisation (abstraction-généralisation), normalisation (unification des étiquetages), structuration (schématisation ‘au second degré’). Schématique au sens informel, elle livre des ‘résultats’ eux-mêmes schématiques, qui entendent proposer moins une ‘interprétation’ que les cadres formels dans lesquels pourraient être situées les opérations de ‘traitement du texte’ : de la lecture linéaire à la reconnaissance des récurrences et des variations, de l’identification des régularités du récit (représentation d’une suite d’actions) aux particularités du discours (actualisation verbale), de la constation des distributions figuratives (acteurs, lieux) à l’élaboration d’hypothèses sur les valeurs mises en scène, de la comparaison avec d’autres discours (lethéâtre, la morale et l’encyclopédie) à l’interprétation de la stratégie littéraire de l’auteur et de la place de l’œuvre dans l’ensemble de sa production, et dans le panorama des ‘genres’ (récit épique, conte, mythe, histoire picaresque, et aussi ouvrages directement ou indirectement pédagogiques) qu’ils soient nationaux ou internationaux, contemporains ou constituant le fonds commun, ‘intemporel’, de la culture de nos régions.
Une démarche continue peut faire passer de l’analyse formelle aux problèmes (et aux apories) de l’histoire littéraire et de l’histoire des idées. C’est le premier tronçon de ce trajet qui est exposé ici, et il n’a pour ambition que de venir à l’appui des autres approches, de contribuer à situer leurs convergences et leurs oppositions, avec le souci en somme de contester les priorités (les a priori) et les exclusivismes qui à la fois – c’est un bien – animent et – c’est moins bien – empoisonnent le tout petit monde des études littéraires.
Une dernière menue précision : l’analyse présentée porte sur une partie seulement du roman, et ne traite pas du ‘prologue’ que constituent le premier chapitre et une partie du second. Ce n’est qu’à partir de l’énoncé des projets de Geppetto (ch. II) que commence véritablement l’histoire de Pinocchio.




Chapitre 1
Le récit


1. Construction séquentielle
Pinocchio appartient à une catégorie de récits que l’on pourrait qualifier de récits d’aventures, et il fait partie, de façon éminente, du genre épique. De ce point de vue, ce sont les procès qui présentent un intérêt définitionnel primordial, et c’est leur teneur que je vais préciser. L’opération préliminaire constitue un résumé de l’action du roman, qui est non seulement une réduction, mais également une normalisation – la variété figurative étant ramenée à un petit nombre de catégories plus générales.
Le découpage et la réduction intuitifs permettent d’identifier et de nommer par hypothèse des microséquences (mSq), qui s’organisent elles-mêmes en une macroséquence (MSq) dont la structure est relativement uniforme, et dont la récurrence est significative de l’enchaînement général du récit.

1.1. Reconnaissance de la Macroséquence
Voici le résumé des ch. XIII-XVIII (ci-dessous MSq C) ; la première colonne est une formulation figurative ; dans la seconde, chacune des actions complexes est intitulée au moyen d’un terme synthétique :

P. doit porter à Geppetto l’argent donné par Mangiafoco
Dessein
Il rencontre le Chat et le Renard, qui lui proposent de ‘semer’ son argent dans le Champ des Miracles
Opposition
P. discute, et n’écoute pas les objurgations d’un Merle
Hésitation
P. se détourne de son chemin et suit le Chat et le Renard
Manquement
Les compères lui escroquent un repas
Punition 1
P. rejette les remontrances d’un Grillon
(Non-)Repentir 1
P. est pendu par les Assassins (le Chat et le Renard)
Punition 2
P. invoque le Père
Repentir 2
Dépendu sur l’ordre de la Fée, il doit prendre un médicament a­mer, et raconter sans mentir son histoire
Épreuve
Assistance de la Fée (et des Médecins)
Secours
La Fée promet la réunion avec le Père
Récompense
i – chap. xiii-xviii
Le contenu des actions, d’une part, leur succession, d’autre part, confère à celles-ci un sens (orientation + signification), qui les organise en une macroséquence qui constitue une suite normale d’actions dont le schéma est fixe, et la réalisation variée. Chaque action, représentée par une microséquence, devient ainsi une fonction, des autres et de l’ensemble.
 Le schéma général est :
1. Dessein (Promesse ou Désir)
2. Tentation (ou Obstacle)
3. Hésitation (ou Crainte)
4. Manquement
5. Punition
6. Repentir (ou Remontrance)
7. Épreuve (purgatoire)
8. Secours
9. Récompense
Un certain nombre d’actions figurativement semblables ne peuvent se différencier que par leur fonction dans l’économie de cette MSq : par exemple, tel discours moral peut être, selon sa place dans la suite, expression de l’Hésitation ou du Repentir, telle mésaventure peut être Punition (sanction du manquement avant la prise de conscience morale de celui-ci) ou Épreuve purgatoire (après cette prise de conscience). Enfin, l’accrochage des MSq se fait de façon linéaire, la récompense entraînant un désir ou une promesse qui enclenche immédiatement le processus d’une séquence successive, qui présentera la même structure. De la sorte, la succession se transforme en implication, ce qui est la caractéristique du récit, illustrée par la formule post hoc ergo propter hoc, qui érige la contingence des événements dispersés en nécessité de leur ordonnancement sensé.

1.2. Schématisation : résumé normalisé

MSq A
(chap. III-VIII)

MSq
Récit
1. Dessein
Assurer la subsistance de Geppetto
2. Obstacle
Premiers tours, fuite
3. Hésitation
Remontrances de Geppetto
4. Manquement
Fuite ; capture de Geppetto
5a. Punition
Æ
6a. Repentir
Inverse : remontrances du Grillon
5b. Punition
Faim : village, poussin
6b. Repentir
Positif
7a. Épreuve
Faim
7b. Épreuve
Pieds brûlés
8a. Secours
Retour de Geppetto ; nourriture
8a. Secours
Réparation
9a. Récompense
Don de vêtements
9a. Récompense
Don de l’Abécédaire

MSq B
(chap. IX-XIII)

MSq
Récit
1. Dessein
Aller à l’école ; apprendre
2. Obstacle
Théâtre de marionnettes
3. Hésitation
Æ
4. Manquement
Vente de l’abécédaire
5. Punition
Capture et danger de mort
6. Repentir
Æ
7. Épreuve
Condamnation d’Arlequin ; dévouement de Pinocchio
8. Secours
Pardon de Mangiafoco
9. Récompense
Don des pièces de monnaie

MSq C
(Chap. XIII-XVIII)

MSq
Récit
1. Dessein
Remettre l’argent à Geppetto
2. Obstacle
Rencontre du Chat et du Renard ; appât du gain
3a. Hésitation
Avertissement du Merle ; hésitations
4. Manquement
Décision de suivre Chat et Renard
5a. Punition
Le repas escroqué
3b. Hésitation
Objurgations de l’ombre du Grillon ; protestations intérieures
5b. Punition
Poursuite par les Assassins ; capture, pendaison
6. Repentir
Appel au Père
7a. Épreuve
Æ
8a. Secours
Sauvé par le Faucon sur ordre de la Fée
7b. Épreuve
Consultation des Médecins ; le médicament
8b. Secours
Guérison
7c. Épreuve
Mensonge sur pièces, punition (nez s’allonge)
8c. Secours
Les pics raccourcissent le nez
9. Récompense
Réunion promise avec Père

MSq D
(chap. XVIII-XIX)

MSq
Récit
1. Dessein
Aller à la rencontre du Père sans se détourner
2. Obstacle
Nouvelle rencontre du Chat et du Renard
3. Hésitation
Discussion avec le Chat et le Renard
4. Manquement
Décision de les suivre ; enterrement des pièces
5. Punition
Pièces volées
6. Repentir
Remontrances du Perroquet
7. Épreuve
Pinocchio porte plainte ; condamné, prison
8. Secours
Amnistie
9. Récompense
(retour à fin MSq. C)

MSq E
(chap. XX-XXII)

MSq
Récit
1. Dessein
Retourner chez la Fée ; bien se conduire
2. Obstacle
Rencontre du Serpent
3. Hésitation
Peur du Serpent
4. Manquement
Chapardage de raisin
5. Punition
Capture par le Paysan
6. Repentir
Remontrances de la Luciole
7. Épreuve
Pinocchio chien de garde ; capture des Fouines
8. Secours
Libération de Pinocchio
9. Récompense
Æ

MSq F*
(chap. XXIII-XXIV)

MSq
Récit
1a. Dessein
Retourner chez la Fée
2a. Obstacle
Tombe de la Fée
1b. Dessein
Retourner vers le Père
2b. Obstacle
Distance ; tempête
1c. Dessein
Manger
2c. Obstacle
Dénuement
3. Hésitation
Refus de travailler
4. Manquement
Demande l’aumône
5. Punition
Faim croissante
6. Repentir
Æ
7. Épreuve
Porte la cruche de la Femme
8. Secours
Repas
9. Récompense
Retrouvailles avec la Fée
* Ex F, G, H, I, J.

MSq K*
(chap. XXV-XXIX)

MSq
Récit
1. Dessein
Aller à l’école
2. Obstacle
Désir de voir le Requin
3. Hésitation
Désir d’obéir au Maître
4a. Manquement
Escapade vers la plage
5a. Punition
Railleries des camarades
4b. Manquement
Bataille
6a. Repentir
Remontrances du Crabe
4c. Manquement
Blesse Eugenio
6b. Repentir
Se repent
5b. Punition
Capture par les Carabiniers
4d. Manquement
Délit de fuite, poursuivi par Alidor
7a. Épreuve
Porte secours à Alidor
7b. Épreuve
Capture par le Pêcheur Vert
8a. Secours
Est secouru par Alidor
7c. Épreuve
Mensonge au Petit Vieux et palinodie
8b. Secours
Reçoit un don de vêtements
7d. Épreuve
Attente, colère, capture, faim
8c. Secours
(inversé) repas factice
9. Récompense
Promesse de la fée : métamorphose
* Ex K, L, M.

Sq N
(chap. XXX-XXXIV)

MSq
Récit
1. Dessein
Faire des invitations sans se détourner
2. Obstacle
Lucignolo l’invite à aller au Pays des Jouets
3. Hésitation
Hésitation ; tentative de mise en garde de l’Âne
4. Manquement
Voyage vers le Pays des Jouets
5a. Punition
Récompense apparente ; oreilles d’âne
6. Repentir
Sermon de la Marmotte
5b. Punition
Métamorphose en âne
7. Épreuve
Âne de cirque, blessé, noyé
8. Secours
Sauvé par les Poissons
9. Récompense
Retrouve le Père


MSq O*
(chap. XXXV-XXXVI)

MSq
Récit
1. Dessein
Rejoindre la terre ferme
2. Obstacle
Le Requin
3. Hésitation
Æ
4. Manquement
Æ
5. Punition
Æ
6. Repentir
Æ
7. Épreuve
Emmener Geppetto
8. Secours
Aide du Thon
9. Récompense
Accostage ; rencontre des méchants punis
Ex O, P.

MSq Q
(chap. XXXVI)

MSq
Récit
1. Dessein
Assurer la subsistance de Geppetto
2. Obstacle
Manque d’argent
3. Hésitation
Æ
4. Manquement
Æ
5. Punition
Æ
6. Repentir
Æ
7a. Épreuve
Travail pour Geppetto et ‘école’
8. Secours
Æ
9a. Récompense
Rencontre de Lucignolo puni
7b. Épreuve
Travail pour Geppetto et la Fée
9b. Récompense
Pinocchio est devenu un petit garçon



ii-– schéma Général du récit



1.3. Interdépendances et interactions
Il apparaît que la MSq est organisée selon des couplages fonctionnels (relation d’implication) et des symétries. On a de la sorte les implications
Tentation Þ Hésitation
Manquement Þ Punition
Repentir Þ Épreuve Þ Pardon
Un schéma centré sur le Dessein (programme d’action) rend compte du statut de fonctions cardinales (en gras) et de fonctions connexes des mSq :

1
Projet
Dessein

2

Obstacle
Tentation
dysphorique
euphorique
3

Hésitation
crainte ou désir
4
Abandon du
Projet
Manquement
action divergente ou ‘contraire’
5

Punition
sanction dysphorique immédiate
6
Réaffirmation
 du Projet
Remontrances
Repentir
externe
intériorisée
7

Épreuve
cond. morale de la restauration du dessein
8

Secours
cond. matérielle de la restauration du dessein
9
Restauration du Projet
Récompense 
début de réalisation du Projet
iii – fonctions cardinales et fonctions connexes

Chaque mSq peut en fait se diversifier et se ramifier ou se démultiplier.
Le Dessein (Promesse ou Désir) peut s’articuler en discours assez longuement analytiques, qui développent les programmes d’un récit possible. La Tentation peut être ramifiée en descriptions très détaillées, et l’Hésitation peut se mêler intimement à elle, sous forme de dialogue comme dans la discussion entre Pinocchio et Lucignolo, au moment où ce dernier tente de persuader le pantin de le suivre au Pays des Jouets(K2 et 3).
Dans la MSq B ces mSq sont très écourtées, et l’Hésitation est absente ; mais elle est télescopée avec celle du Manquement, très développée, relancée même (tentative de vente au petit garçon, vente au brocanteur), et les obstacles que rencontre alors Pinocchio tiennent lieu d’arguments (le narrateur intervient d’ailleurs dans ce sens).
L’Épreuve peut être simple (E : Pinocchio chien de garde) ou complexe (C : Pinocchio doit avaler une médecine amère, et ne pas mentir).


1.4. Microséquences à signe négatif
Certaines mSq sont affectées d’un signe négatif. Elles sont assez fréquentes, et entrent alors dans des rapports particuliers avec les autres mSq.
En C, les objurgations rejetées du Grillon, et le discours intérieur de protestation de Pinocchio, pourraient être considérées comme non-Repentir, mais le placement dans la suite de la MSq montre qu’il s’agit de non-Hésitation.
En N5a, toute la première partie de la mSq est affectée du signe négatif, qui en fait une non-Punition (Pinocchio s’amuse bien au Pays des Jouets), tandis que la suite (5b, métamorphose en âne) transforme cette non-Punition en non-Récompense.
En K6b, nous avons, du fait de l’insertion à l’intérieur du procès disjoint de Manquement (bataille), une mSq de non-Repentir (observations rejetées du Crabe).
Les mSq finales sont presque ‘normalement’affectées d’un signe négatif. En N 9, la Récompense en vue (rejoindre la Chèvre) est soudainement affectée du signe négatif par l’arrivée du Requin qui avale Pinocchio ; enfin O 9 est elle aussi partiellement négative, dans la mesure où, faisant suite à la rencontre avec les méchants punis (Récompense indirecte ou négative), la nouvelle de la disparition définitive de la Fée constitue une non-Récompense.

Ce caractère négatif a des fonctions différentes selon qu’il s’applique à des mSq intérieures ou finales ; dans le dernier cas, il s’agit d’un effet principalement dynamique, qui laisse la MSq ouverte (même si d’autres investissements, notamment thématiques sont possibles), tandis que la valeur fonctionnelle de la négativité d’une mSq interne est moindre (c’est son investissement thématique qui compte surtout).


2. Construction cyclique
2. 1. Constitution de la séquence globale.
Au plan strictement narratologique, la constitution de l’ensemble du récit en une seule séquence globale doit permettre d’établir solidement les caractères de la syntagmatique générale du texte, d’en situer les parties, et donc de leur affecter une fonction. C’est une réduction­-généralisation. Le récit comme séquence globale pourrait être ainsi présenté :
Le pantin Pinocchio, séparé de son père Geppetto, après plusieurs aventures où il reçoit l’aide de la Fée, retrouve celui-ci, et mérite de devenir un petit garçon.
soit, en termes généraux :
1. Naissance de Pinocchio pantin
2. Manquement : fuite loin du père
3. Épreuves principales : diverses aventures
4. Épreuves glorifiantes : aide au Père
5. Naissance de Pinocchio petit garçon.
Ce schéma général est assez proche de celui de la MSq, à ceci près que les mSq Repentir sont éclatées et distribuées sur l’ensemble des MSq résumées sous le titre Épreuves principales.
Il présente par ailleurs une analogie, en rien surprenante, avec l’organisation des contes populaires, telle qu’elle a été reformulée, d’après Propp, par A. J. Greimas.

2.2. Les cycles du récit
R. Bertacchini (361-2) identifie dans Pinocchio quatre ‘aventures’ principales : l’aventure des Assassins, l’aventure du pays d’Attrape-Nigauds, l’aventure du Pays des Jouets, l’aventure du Requin, séparées par des ‘épisodes’ dispersés. Ces quatre MSq forment des noyaux narratifs relativement autonomes. Bertacchini, à la suite d’autres (Bargellini, Santucci), met au centre de l’action la fuite et la quête du Père, privilégiant ainsi un programme récurrent.
Le fait significatif est que, malgré une structure relativement uniforme, le récit est d’un dynamisme extrêmement accusé, ce qui impose d’examiner les modes de succession des séquences. Cette succession est linéaire, chronologique, et s’établit de façon fort simple : dans tous les cas, la dernière mSq (Récompense) est soumise à une condition, imposée de l’extérieur ou intériorisée, et elle se transforme en un Dessein soumis à cette condition, toujours réductible à un ordre concernant la situation topographique de Pinocchio : rentrer chez Geppetto avec l’argent de Mangiafoco sans se détourner, aller à la rencontre de Geppetto, rejoindre la Maison de la Fée (il y parvient, mais, à la lettre, le lieu a disparu), faire l’aller-retour maison-école, aller porter les invitations sans traîner (donc sans vagabonder). La récurrence des MSq est donc liée au désir constant, et constamment compromis par la tentation et la désobéissance, de retourner là d’où l’on vient, de sorte que l’histoire de Pinocchio est fondamentalment une histoire topographique. J’y reviendrai (Ch. 4).


3. La structure actantielle
À partir de la séquence globale on peut établir quels sont les rapports principaux entre les ‘personnages’ (les figures humaines ou plus ou moins anthropomorphes) et leurs fonctions dans les MSq et mSq, qui en font des actants.
La notion d’actant est due à Tesnière (1965) : c’est originellement une abstraction grammaticale, destinée à généraliser les notions de ‘sujet’, ‘complément’, etc. Elle a été reprise par Greimas et correspond à celle de rôle (v. G&R, ch. V, p. 147-155). J’utiliserai ici des termes informels courants dans l’analyse des récits populaires : Destinateur et Destinataire, Sujet et Objet, Adjuvant et Opposant.

3.1. Les fonctions actantielles
Pinocchio, le héros, est Sujet de la séquence globale (du récit tout entier), mais également Objet de celle-ci. Cette double fonction naît du fait qu’il y a en réalité deux actions complémentaires, entrant dans une relation hypotaxique : la transformation du pantin en petit garçon (action principale, d’ailleurs révélée tardivement, K9), les aventures du héros (actions subordonnées, les unes probatoires (Dessein­-Manquement-Punition), les autres purgatoires (Épreuve-Secours-Récompense).
Geppetto est successivement Destinateur-Destinataire, Objet de la quête de Pinocchio, Objet-Destinataire de l’action de Pinocchio, quand celui-ci commence à travailler pour assurer sa subsistance.
La Fée est successivement Adjuvant (fait porter secours à Pinocchio), Destinateur (promet la réunion avec Geppetto), Objet de la quête de Pinocchio, à nouveau Destinateur (promet la transformation en petit garçon), Objet de l’action de Pinocchio dans les mêmes conditions que Geppetto.
Les autres personnages entrent tous dans la catégorie des Adjuvants ou Opposants, directement (les Opposants, qui ‘agissent pour leur compte’), ou par mandat (auxiliaires de la Fée). Une place à part revient à certains personnages (le Grillon, la Limace, la Marmotte), porte-parole de la morale, mais aussi projection disjointe du Sujet-Pinocchio, et dont on a dit qu’ils sont des figurations de sa conscience.
À part certains Adjuvants, la plupart des personnages n’entrent pas en interaction, mais ne sont en relation qu’avec Pinocchio, qui est ainsi le héros, celui qui centralise toutes les relations interactantielles, médiatisées par lui, quand elles s’établissent en surplus des relations centrées sur lui.
1, 6 = Désir ; 2,3 =communication-Donation ; 4,5 = Participation

iv – Pinocchio au centre du monde du récit

3.2. Relations interactantielles
Elles relèvent de trois domaines principaux : désir, communication-donation, participation-association, et les règles de la dynamisation du récit se ramènent à deux : renversement (ou abandon) et restauration.
Le Désir positif rend compte de toutes les cas où Pinocchio cherche à rejoindre, soit Geppetto, soit la Fée. Orienté négativement, il rend compte de ceux où Pinocchio fuit son Père, ou se détourne de l’itinéraire préétabli. La Punition, alors, consiste en un retard dans la réunion, comme on le voit dans le début de F, MSq interrompue presque aussitôt qu’amorcée, où la réunion est rendue impossible par la mort supposée de la Fée ; fonctionnellement c’est une réunion positive avec un Objet négativisé.
La Communication-Donation, perçue du point de vue de Pinocchio, est tantôt médiate (Adjuvants de la Fée), tantôt directe ; elle peut elle aussi être orientée positivement, lorsque Pinocchio fait d’une promesse de la Fée son Dessein (aller à la rencontre de son père, aller à l’école pour devenir un petit garçon, donner raison à un émissaire de la Fée), ou négativement, lorsqu’il renverse le Dessein en un Dessein opposé qui devient Objet du Manquement.
Enfin, la relation de Participation-Association, elle, est doublement orientée dans un certain nombre de cas : conseils rejetés alors qu’ils sont bons et seront suivis (opposition suivie de restauration), mauvais conseils suivis, puis rejetés a posteriori (orientation positive d’un élément négatif, puis restauration de la positivité par renversement de la négativité).
On pourrait analyser en détail chaque MSq, fonctionnaliser chaque mSq dans cette optique ; il suflit donc de viser trois relations et d’instituer deux règles de transformation pour engendrer la mécanique générale du récit, mais naturellement, il faut ensuite examiner comment fonctionnent ces règles de transformation, et quel est l’investissement idéologique des relations nommées au plan le plus général. Ces questions relèvent de l’étude des investissements particularisants (idéologiques).

3.3. Schéma actantiel microséquentiel
3.3.1. MSq 1 (Dessein).

[Dr = Destinateur ; Dre = Destinataire Sj = Sujet ; Obj = Objet ; A+ = Adjuvant (Auxiliaire positif) ; A– = Opposant (Auxiliaire négatif)]
Sq
Dr
Dre
Sj
Obj
A+
A–
A
Gepp.
Gepp.
Pin.
servir
0
0
B
idem





C
Mangiafoco
Gepp.
Pin.
pièces
0
0
D
Fée
Pin.
Gepp.
Pin.
réunion
0
0
E
0
Pin.
Fée
Pin.
réunion
0
0
F
idem
Pin.
Gepp.
Pin.
réunion

tempête
K
Fée
Pin.
(Fée)
Pin.
(pantin)
Pin.
(humain)
0
0
N
Fée
Pin.
Pin.
fête
0
0
O
0
Pin.
Gepp.
Pin.
sortir
0
0
Q
Pin.
Gepp.
Fée
Pin.
nourrir
0

v – les microséquences Dessein


On observe tout d’abord que la mSq Q1 est identique à A1, elle est donc une réalisation du Dessein de A1, et elle clôt programmatiquement le récit (d’où il ressort que la transformation en petit garçon est secondaire ; elle ne clôt qu’un programme tardivement ouvert en K).
En second lieu, les fonctions A+ et A– sont absentes de Dessein (sauf en F), ce qui n’est qu’une conséquence mécanique (donc non­-signifiante) du découpage ; ces actants n’apparaissent le cas échéant que dans la mSq2 (Opposition). C’est une des limites de l’analyse actantielle par mSq, mais qui montre, du coup, que le découpage en mSq correspond à une distribution particulière des actants.
La fonction Sj est toujours remplie par l’acteur Pinocchio (ce qui est normal puisqu’il est le héros, mais indique, d’une part qu’il n’y a qu’un héros, d’autre part qu’on adopte un point de vue unique, en centrant chaque procès sur lui, et faisant de tous les autres ‘personnages’ des circonstants du héros).
La fonction Dre est remplie alternativement par : Pinocchio, Geppetto, la Fée, Pinocchio et Geppetto, Pinocchio et la Fée, et enfin Geppetto et la Fée (dans la dernière séquence) ; la combinatoire est donc complète. On constate qu’en fait la fonction Obj est liée à Dre, et c’est pour cette raison qu’elle est désignée comme procès, étant entendu que dans ce cas-là l’objet du procès est l’acteur qui remplit la fonction Dre.
La fonction Dr est quelquefois absente (en E et O) ; dans ces cas, il y a en fait fusion thématique de Dr et Sj, c’est-à-dire que c’est la volonté de Pinocchio qui est motrice ; la scission Geppetto/Pinocchio ou Fée/Pinocchio est alors résolue, et cette fusion marque morphologiquement le fait que Pinocchio assume ses actes. Il n’y a qu’un cas (C1) où le destinateur est situé hors du triangle Geppetto-Fée-Pinocchio, et c’est au début du récit, où l’on peut penser que le schéma était encore flottant. Par la suite, c’est la Fée qui assume cette fonction, jusqu’au moment où Pinocchio la remplit de façon conclusive.



3.3.2. MSq D

Pour l’ensemble de la MSq, le schéma actantiel est :
Dr 
Fée (perdue de vue à partir de 4)
Dre 
Geppetto et Pinocchio (Geppetto perdu de vue à partir de 4)
Sj 
Pinocchio (quel que soit le niveau Pinocchio est toujours Sujet)
Obj 
richesse (successivement Objet de Dessein de substitution, de Punition, de Repentir-regret, d’Épreuve-plainte)
A+ 
le Perroquet (information, auxiliarité de Repentir)
A– 
le Chat et le Renard (mauvais conseillers)
le Singe-juge (instrument d’Épreuve-injustice).
vi – la macroséquence D

Le schéma, pour la MSq, est complet. L’unité en est fournie par l’identité de l’Objet, une fois perdu de vue l’Objet du Dessein primitif. Les Auxiliaires doivent être considérés à part, mais ce point mérite un développement spécial (v. paragraphe suivant).
Les deux analyses qui précèdent avaient pour but d’illustrer les pratiques descriptives possibles à partir de la schématisation du récit qui est proposée. Le Tableau vi (p. suiv.) présente le Schéma actantiel général du récit. Ces analyses doivent maintenant être intégrées en une étude générale, toujours paradigmatique, où seront considérées les spécialisations d’actants par rapport, d’une part aux mSq, d’autre part par rapport aux acteurs.


3.3. Schémas actantiels et cycles
3.3.1. Tableau général
Les noms en italique sont ceux d’acteurs dont l’action, située dans la phase d’Épreuve, peut être provisoirement dysphorique ; dans les MSq O-Q, où il n’y a plus d’Opposants, le spectacle des anciens Opposants punis est une aide.





Séq
Dr
Dre
Sj
Obj
A+
A–
A
Gepp.
Gepp.
Pin.
Vie
Grillon
Pin.





Poussin






Paysan

B
Gepp.
Pin.
Pin.
Savoir
Garçonnet
Théâtre





Mangiafoco
Brocanteur
C
Gepp.
Gepp.
Pin.
Argent
Merle
Chat





Grillon
Fée 1





Fée 2






Faucon






Caniche






Médecins






Lapins






Pics

D
Gepp.
Gepp.
Pin.
Réunion
(Père)
Perroquet
Chat


Pin.


Singe
Renard





Gendarmes






Geôlier

E
ø
Pin.
Pin.
Réunion
(Fée)
Luciole
 Paysan
Serpent
Fouines
F
ø
Pin.
Pin.
Réunion
Pigeon
[ Fée ]




(Père)
Charretier






Fée

K
Fée
Pin.
Pin.
Humanité
Crabe
Écoliers





Carabiniers
Requin





Alidor
Pêch. vert





Vieux






Limace

N
Fée
Pin.
Pin.
Humanité
Anon
Lucignolo





Marmotte
Pt. Homme





Directeur






Acheteur






Poissons

O
Pin.
Gepp.
Pin.
Vie
Thon
Requin


Pin.



Mer
Q
Pin.
Gepp.
Pin.
Vie
Chat



Fée


Renard






Grillon






Giangio






Limace






Lucignolo

vii – tableau actantiel général


3.3.2. Schémas actantiels et économie du récit
Le schéma de la mSq Manquement entre généralement dans un rapport de renversement ou de déplacement avec celui du Dessein : c’est ainsi que le Destinateur (quand il existe) est perdu de vue, que le Destinataire est toujours remplacé par le Sujet Pinocchio (investissement principal : le principe de plaisir), que le Sujet se trouve isolé (du Destinateur) ou disjoint (de lui-même), que l’Objet se présente comme non-Objet du Dessein primitif (contraire ou marginal).
Le schéma de la mSq Hésitation est plus complexe ; le sort du Destinateur, du Destinataire, de l’Objet est celui d’une cohabitation des incompatibles, tandis que les Auxiliaires sont eux aussi affectés d’un signe double : c’est ainsi qu’en C 3a, le Chat et le Renard sont à la fois Adjuvant (du renversement du Dessein) et Opposants (du Dessein), que le Merle (3a) et l’ombre du Grillon (3b) sont à la fois Opposants du (renversement) et Adjuvants (du Dessein).
Dans la mSq Obstacle, on ne rencontre que les Opposants. Quant à la séquence Repentir, si elle est affectée d’un signe positif (D6 par exemple), elle peut comprendre un Adjuvant défini de façon univoque, tandis que l’affectation d’un signe négatif institue l’Auxiliaire en Opposant apparent et Adjuvant réel (A6a par exemple). Dans la mSq Épreuve (D7, K7a et 7b), les Auxiliaires sont Opposants dans le cadre restreint de la mSq et Adjuvants dans le cadre économique de la MSq.
On se rend compte alors d’un fait important, et qui aura des développements remarquables du point de vue des investissements idéologiques (et notamment sur le plan de la ‘morale’ ou du didactisme de Collodi) : c’est que les Auxiliaires présentent en général (sauf quelques-­uns qui sont neutres, comme le Faucon, le Pigeon, le Thon) une double orientation, changeant de statut quand on passe du niveau analytique (mSq) au niveau intégratif (MSq). Ce renversement est non seulement thématique, mais également dynamique. En général, ces Auxiliaires sont des conseillers ; les bons sont successivement A–/+, le mauvais A +/–.





Chapitre 2
Le discours narratif

1. La dispositio séquentielle
1.1. Actualisation de la macroséquence
Le schéma général du récit met en évidence un certain nombre de faits touchant à la syntagmatique du récit, et retentissent sur ses investissements.
La MSq ne se présente pas sous une forme rigoureusement identique tout au long du récit, et son uniformité potentielle est infléchie par l’évident souci de variété de Collodi.
– Le schéma se présente sous sa forme complète : ce sont les MSq A, D, E, N. Il n’y a rien à dire de ces séquences complètes (sauf, comme on le verra, de E, dont la complétude est artificielle). Les autres MSq sont, soit sursaturées, soit ‘défectives’.



A
B
C
D
E
F
K
N
O
Q

Dess.





+ 2




+ 2
Oppos.





+ 2




+ 2
Hésit.

– 1
+ 1


+ 1

+ 1
– 1
– 1
0
Manq.






+2

– 1
– 1
0
Punit.


+ 1



+ 1
+ 1
– 1
– 1
+ 1
Rep.
+ 1





+ 1

– 1
– 1
0
Épr.
+ 1

+ 1

+ 1

+ 3



+ 6
Sec.
+ 1

+ 1

– 1

+ 2



+ 3
Réc.
+ 1


– 1






0

+ 4
– 1
+ 4
– 1

 + 5
 + 9
 + 2
– 4
– 4

viii – sursaturation et défectivité

1.2. Sursaturation
La séquence est sursaturée si elle présente toutes les mSq du schéma fondamental, mais certaines de celles-ci réalisées plusieurs fois ; une question se pose alors : s’agit-il d’une sursaturation qui pourrait être réduite par la simple fusion de deux ou plusieurs mSq identiques (ce qui fait que la schématisation développée n’a qu’une valeur descriptive intermédiaire), ou s’agit-il de l’insertion de procès autonomes enchâssés dans la MSq principale (et il faudrait alors instituer plusieurs MSq) ?
À la première question, on pourrait donner une réponse positive en ce qui concerne la MSq C ; celle-ci présente deux mSq Punition (repas escroqué et poursuite, capture et pendaison), qui alternent avec deux réalisations de la séquence Hésitation (épisodes du Merle et de l’Ombre du Grillon), selon une succession qui pourrait être réduite ; mais en raison d’investissements différents il convient de maintenir un schéma développé.
Cette MSq contient également deux séquences Épreuve (médicament et question sur les pièces) et Secours (guérison et raccourcissement du nez de Pinocchio) ; ici encore, ce sont les différences d’investissements qui imposent de conserver la forme développée.
La MSq F comporte un triple Dessein, le premier (rejoindre la Fée) tournant court à la vue de la tombe de celle-ci, il est ‘remplacé’ par un autre (retour au Père), puis un autre encore (se nourrir). Surtout, la mSq 7 (Épreuve : porter la cruche) est extérieure, non fonctionnelle dans l’économie de la MSq ; ce n’est qu’une répétition d’une partie de A8 (la nourriture). C’est que cette MSq est purement relationnelle, elle ne concerne qu’une action de transfert, à investissement thématique plus que fonctionnel (donner une preuve de l’amour de Geppetto, surmotiver le nouveau Dessein de quête du Père succédant à la quête de la Fée).
Le cas de la MSq K est assez différent ; son unité est assurée par le ‘programme spatial’ : du départ pour l’école au retour et à la promesse de récompense, qui se scinde en trois sous-séquences ou ‘épisodes’ (bataille, capture, poursuite, capture par le Pêcheur Vert ; rencontre du Petit Vieux ; attente devant la porte de la Fée). Chacune d’entre elles constitue un noyau dans lequel apparaissent des figures dont il ne sera plus question dans les séquences contiguës : c’est pour cette raison qu’on ne peut isoler l’épisode du Pêcheur Vert, puisqu’il assure la clôture des rapports Pinocchio-Alidor.

Cette MSq est sursaturée pour la mSq 7 (Épreuve), qui se diversifie en un véritable récit partiel (mais non autonome, car débouchant sur le même Secours) : c’est ainsi que Pinocchio rompt le Dessein (implicitement prescrit) d’attendre, s’impatiente (Manquement), se trouve pris au piège (Punition), soumis à une autre Épreuve (repas factice). C’est un cas assez rare de Manquement au cours de l’Épreuve (C 7b est plus rapidement close).

1.3. Défectivité
Il faut distinguer plusieurs cas assez différents.
Dans la MSq B, comme on l’a vu, les deux mSq 3 (Hésitation) et 6 (Repentir) sont absentes, et cette absence est corrélative. Il faut toutefois rappeler également que la mSq 3 est embryonnairement développée par la mSq 4 (Manquement), réalisée en deux temps (refus de l’Enfant, puis acceptation du Brocanteur d’acheter l’abécédaire).
Dans la MSq F, la mSq 6 (Repentir) reste fortement implicite (décision soudaine de travailler).
Quant aux MSq O et Q, il y manque les mSq 3 à 6, car ce sont uniquement des actions centrées autour d’un procès d’épreuve. Dans O la récompense prend l’aspect de la punition des Opposants constants (le Chat et le Renard) et de la résurrection de l’Adjuvant principal (le Grillon), elle reste inachevée car elle aboutit à la nouvelle de la disparition apparente de la Fée.
Dans ces MSq, le statut de l’Épreuve est particulier : n’étant greffée sur aucun Manquement, cette action n’est plus une épreuve pugatoire, une pénitence, mais une épreuve glorifiante.
Deux remarques s’imposent quant la structure de la séquence.
– On sait que Collodi, en un premier temps, avait abandonné Pinocchio pendu au Grand Chêne, et que ce n’est que plusieurs mois plus tard qu’il se décida à poursuivre son récit. La conséquence éclaire la fonction de certaines séquences dont le ‘sens’ (ou du moins la figuration) peut être similaire ; dans la clôture provisoire du récit, la pendaison constituait une Punition supplémentaire et définitive, alors que dans la nouvelle économie immédiatement remodelée par la poursuite de la narration, cette séquence acquiert en quelque sorte un statut intermédiaire entre Punition et Épreuve – au reste, elle était précédée d’une Punition ‘simple’, le repas escroqué.
– La gêne intuitive des lecteurs et des critiques en face de la conclusion du roman répond directement à l’anomalie structurelle que présente la dernière MSq (Q), fondée sur un procès d’épreuve glorifiante.


2. Anamorphoses récit-discours
Les mSq de même fonction (place dans la MSq) constituent des paradigmes (ensemble des Desseins, des Obstacles, etc.), mais elles se manifestent syntagmatiquement dans le déroulement de la MSq, où elles sont ordonnées (c’est cet ordre, comme en grammaire, qui permet d’établir le ‘sens’ comme corrélation entre forme interne ou morphologie et valeur logique ou fonction syntaxique).

2.1. Microséquences entrelacées
Il y a toujours des interférences entre mSq, et les limites logico-narratives ne sont manifestées que de manière floue par les unités de la manifestation linéaire de surface ; néanmoins, on observe des entrelacements où deux mSq s’étendent sur la même zone discursive.
En C2-3a, la discussion entre Pinocchio et le Chat et le Renard (Tentation), en se prolongeant, se transpose sur le plan de l’Hésitation (concentrée dans l’épisode du Merle) ; en D5-6, la Punition (désespoir de Pinocchio volé) et le Repentir (remontrances du Perroquet) sont intimement mêlés ; en F1c-2c, le Dessein (manger) est intimement lié à l’Obstacle (dénuement), et n’existe qu’en fonction de celui-ci. Enfin, en N2-3, on retrouve le même entrelacement qu’en C, et on peut même aller jusqu’à dire qu’il a entrelacement de trois fonctions (2, 3, 4), car les Remontrances de l’Âne se poursuivent jusque dans le cours du voyage, alors que désormais le Manquement est déjà en acte.
L’entrelacement, par définition, joue entre fonctions contiguës ; il est remarquable que ce soient les deux couples Obstacle-Hésitation et Punition-Repentir (symétriques par rapport à la mSq Manquement) qui sont le plus fréquemment et le plus intimement entrelacés.

2.2. Microséquences confondues
Ce cas est distinct du précédent, car l’une des séquences est absente ou embryonnaire. C’est ainsi qu’en A2-3, l’Obstacle (réactions de vitalité protestataire de Pinocchio) n’est pas couplé avec son corollaire habituelle, l’Hésitation, dont seules les brèves remontrances de Geppetto tiennent lieu, mais sans troubler le déroulement de la séquence. En B3-4, on a vu que la mSq Hésitation est prise en charge par un des agents de la séquence Manquement (l’Enfant qui refuse d’acheter l’abécédaire). Enfin, on observe une confusion des mSq 8 (Secours) et 9 (Récompense) en E et K. C’est l’investissement particulier de la séquence Secours qui dans ces cas permet la fusion (libération en E et K8a, don d’un vêtement en K8b). Dans ces séquences il n’y a pas ce surplus d’acquisition de bien qui caractérise, par exemple, la fin de la séquence K (9, Pinocchio accueilli, pardonné et nourri, reçoît de surcroît la promesse de devenir un petit garçon).
D’une part, la fonction Récompense est autonome dans la mesure où elle ne comble pas un manque propre à la MSq même (B9 : le don des pièces de monnaie s’articule sur la séquence A).
D’autre part, la Récompense est toujours octroyée par un agent particulier (Geppetto qui habille Pinocchio et lui donne l’Abécédaire, Mangiafoco qui donne les pièces, la Fée qui promet que Pinocchio deviendra un petit garçon). La fusion des deux dernières séquences laisse la MSq ouverte, dans la mesure où elle institue un Dessein différent ; jusqu’à la dernière MSq du récit, il s’agit plutôt d’un enclenchement de la macroséquence suivante.

2.3. Microséquences interverties
Les interversions de mSq sont assez difficiles à déceler, car il s’agit généralement de l’inversion de 5 (Punition) et 6 (Repentir) dans les cas où cette dernière est une remontrance, une admonestation d’un autre actant, comme en A5-6a réalisée dans l’ordre : dans ce cas, la mSq Repentir peut être ramenée à la fonction Hésitation (projetée sur un autre actant). L’inversion n’est pas un procédé très productif dans le cas de Pinocchio, ce qui est une contre-épreuve du rendement du modèle de MSq, dont l’ordre est rarement troublé.

2.4. Microséquences non fonctionnelles
Certaines mSq, pour telle ou telle raison, se trouvent insérées à une certaine place dans le déroulement d’une MSq, sans que leur articulation avec les séquences contiguës soit d’implication réciproque ; en termes d’effet de sens, ces mSq sont perçues comme partiellement gratuites.
C’est le cas de C5a (le repas escroqué), d’un certain point de vue : en effet, l’escroquerie subie par Pinocchio, non perçue en tant que telle par lui, est en quelque sorte démotivée (mais seulement de son point de vue). En E2 et 3, l’Obstacle est neutre (Serpent), et il n’y a pas d’implication entre les séquences Obstacle, Hésitation et Manquement (lequel se produit d’un coup, sans préliminaire). La mSq F7 (porter la cruche) est une Épreuve, mais non liée à une série Manquement-Punition­-Repentir, et ne débouche pas sur une Récompense. Cette mSq serait particulièrement gratuite si elle ne s’appuyait sur la répétition de A8. On peut y voir une préparation de la MSq suivante (purification avant une grande entreprise).

2.5. Conclusion
Les principales modifications de rapports entre mSq s’appliquent plutôt aux dernières mSq, ce qui produit un rendement assez fort pour l’effet d’ouverture ou de dynamisme.


3. Expansions du discours narratif
3.1. Narratif et non narratif, description
La narration est la représentation d’un changement d’états de choses ; le récit est constitué de propositions représentant des états de choses successifs, nécessairement ordonnés, c’est-à-dire disposés sur un vecteur (chrono-logique). Le sens d’une proposition narrative est fonction de sa place par rapport aux autres, tandis que celui d’une proposition descriptive en est indépendant, et se situe au plan du discours, non du récit. (v. G&R : 206-207).

3.2. Fonction des descriptions
Les descriptions de lieux peuvent avoir une valeur de circonstancialisation, et elles restent alors assez sommaires. D’autres sont plus développées :
A1    Maison de Geppetto
B2     Théâtre de Marionnettes
C5     Repas escroqué
C8     Carrosse de la Fée
D5    Ville d’Attrape-Nigauds
E1    Pigeonnier
F3     Île des Abeilles industrieuses
K7    Grotte du Pêcheur Vert
        Repas factice
K9    Fête promise
N5    Pays des Jouets
P1     Intérieur du Requin 

ix – les descriptions

Le ‘sens’ des descriptions dépend bien entendu de leur contenu figuratif, mais celui-ci est infléchi et fonctionnalisé par le placement du développement descriptif dans le déroulement implicatif du récit.
Il y a peu de descriptions liées à la mSq 1 (Dessein) : deux seulement sont manifestement fonctionnelles. A1, description de la maison de Geppetto, prépare la mSq A5, où les trompe-l’œil (marmite peinte, etc.) seront l’un des aspects de la Punition (on en retrouvera un écho dans K8c, repas factice). O1, description de l’intérieur du Requin, prépare 1’investissement thématique affectif et symbolique de la rencontre (lumière dans le noir).
La mSq 3 (Hésitation) ne donne pas lieu non plus à un grand nombre de descriptions effectives (nombreuses en revanche dans les dialogues qui lui sont liés) ; deux toutefois sont intéressantes. En A3 (le théâtre de marionnettes et le village), Pinocchio est mis directement en présence du fait, et non d’un discours sur le fait ; cela ne se reproduira plus ; la description nourrit l’hésitation, est un des termes de l’alternative. En F3 la description de l’île des Abeilles industrieuses constitue également un terme d’alternative (le bon exemple à quoi s’oppose le refus de travailler).
Plus significatives sont les deux descriptions, souvent rapprochées, de la Ville d’Attrape-Nigauds et du Pays des Jouets (D et N). Leur localisation, dans ces deux MSq parfaitement conformes au schéma général, est analogue : elles se situent à un moment intermédiaire entre Manquement et Punition.
Dans le premier cas, c’est un avertissement (non compris de Pinocchio), dans le second une apparente récompense qui n’est que la préparation de la Punition.
Les descriptions liées au ‘bloc’ Épreuve-Secours-Récompense (C8, caniche et carrosse de la Fée ; K7, grotte du Pêcheur Vert ; K8c, repas factice ; K9, fête promise) sont toutes liées de près ou de loin à l’idée de nourriture.
Ces descriptions qui apparaissent à point nommé pour préparer et emphatiser une action significative relèvent d’un procédé comique qui sera ultérieurement exploité par les dessins animés : un personnage qui a besoin d’un instrument le trouve soudain dans sa main. Cette génération spontanée est dirigée, elle ne correspond pas à une intention de vraisemblance, bien au contraire, elle a comme dans le dessin animé une fonction magique, convoquant une image pour susciter un événement : c’est là qu’il faut chercher la raison de cette vie intense, mais subconsciente, des données descriptives de Pinocchio.












Chapitre 3
L’énonciation

1. L’énonciation narrée

Dans le tableau suivant
– |résumé| est relié par une flèche aux ‘cases’ marquées d’un trait gras qui indique la portée du résumé (cases en grisé ; en Q c’est tout le récit).
|||| représente les discours préfabriqués.
– p|X indique un dialogue Pinocchio|Interlocuteur.


1.1. Dialogues
C’est l’expansion principale du discours narratif, et l’influence grandissante, dans l’Italie ‘unie’ du théâtre di prosa (jusqu’alors dominait l’opéra) y est essentielle. Je rappelle que F. Tempesti y voit la ‘véritable’ structure du roman, et quoi que l’on pense de cette position (v. Avertissement), il est certain que c’en est le trait formel le plus spectaculaire.
Le dialogue est le plus souvent dans Pinocchio un véritable dialogue de théâtre, tout en répliques, avec peu d’indications scéniques, et il en a les caractéristiques, notamment ce qui concerne toutes les descriptions discursives, comme celle que fait Lucignolo à Pinocchio du Pays des Jouets (N2-3). L’extrême importance quantitative du dialogue (plus de 1000 répliques), qui se rencontre dans tous les types de mSq, impose d’indiquer quelles fonctions d’expansion il joue.


x – l’énonciation narrée


 Dans la mSq Dessein, il développe la promesse et l’interdiction : c’est le cas, notamment, de B1 (développée, en fait, en insertion à la fin de A, et reprise en monologue, ainsi que de K1 (entrelacée avec F9), qui fait l’objet d’un chapitre entier dans le découpage établi par Collodi. Les autres séquences Dessein sont moins directement liées à un dialogue.
En second lieu, la séquence Hésitation est (sauf en B1) constituée par un dialogue ; les plus développés sont ceux qui ont lieu entre Pinocchio et le Chat et le Renard (C3 et D3) et entre Pinocchio, Lucignolo et le Petit Homme (N3).
Corrélativement, la séquence Repentir (positive ou négative) donne lieu à des dialogues entre Pinocchio et le Grillon (A6a), le Perroquet (D6), la Luciole (E6), le petit Vieux (K6b), la Marmotte (N6) ; ce sont des débats fortement thématisés, analysables en termes d’investissements moraux (Bien/Mal, conduite conforme /infraction).
Les dialogues que l’on rencontre dans les séquences Épreuve, Secours, Récompense, sont moins particularisés ; simple information, ou dialogue-action (qui ne débouche pas sur l’action proposée par un tentateur), ou enfin dialogue qui se greffe directement sur l’investissement « promesse » de la mSq Dessein suivante.
On voit par là que le dialogue se situe essentiellement dans les mSq autres que Manquement et Punition, qu’il constitue un commentaire antérieur ou postérieur par rapport à l’action ; son développement quantitatif indique, d’une part, le caractère indécis de Pinocchio, d’autre part la qualité négative de la plupart de ses actions, qui appellent un discours justificatif, puis rectificatif avant les actions purificatrices. Quant au Manquement et à sa sanction immédiate, on peut dire que là, ce sont les faits qui parlent.

1.2. Discours préfabriqués
Ce sont des discours, monologues ou répliques développées, fortement mimétiques, directement tirés de l’extra-texte et transférés tels quels, à titre de citation marquée, dans le discours du récit. Leur investissement idéologique est variable, mais leurs caractères formels sont constants : ce sont presque toujours des parodies (dénoncées par la surcharge, emphase et redondance). Les projets d’éducation que forme Pinocchio (B1) et le discours moral inverse par lequel il proteste contre les excès de pouvoir des grandes personnes (C3b) peuvent alors amener à s’interroger sur le statut des discours moraux ‘positifs’ que le Grillon, la Luciole, la Fée, la Marmotte etc. tiennent à Pinocchio, ce qui reviendrait à mettre en cause, non les intentions, mais les valeurs pédagogiques du récit.
Le cas le plus remarquable est sans aucun doute celui du Directeur du Cirque (N7), précédé thématiquement par la reproduction de l’affiche. Ce discours manifeste une évidente intention parodique, exempte toutefois de visée morale, dont les marques surabondent à tous les niveaux de la langue. De plus, non-fonctionnel en apparence, il semble constituer une expansion discursive purement ludique ; mais, sa charge thématique n’en est pas moins forte : on ne peut manquer d’y voir une affirmation oblique du fait que l’amusement est bête, que les amuseurs sont des butors, et ceux qui s’amu(sent au lieu de travailler) des gogos. C’est en quelque sorte une ‘version’ aggravée du Théâtre de Mangiafoco (B2).

1.3. Résumés
1.3.1. Placement
Il y a quatre résumés faits par Pinocchio de ses aventures passées, en A8, C7b, N7-8, O (entre 2 et 7). Ces récits se situent tous vers la fin de la MSq où ils apparaissent (à l’exception du dernier, mais dans cette partie du récit la structure de la MSq a nettement évolué).
Le premier reprend les mSq 5 (Punition), 6a (épisode du Grillon), 7 (Épreuve, pieds brûlés et faim).
Le second reprend l’ensemble de la MSq C, de 1 à 5b ; assez curieusement, la mSq 3 (épisodes du Merle et de l’ombre du Grillon) y est passé sous silence, ainsi que l’épisode de la maison de la Fée (dont l’omission est fonctionnelle).
Le troisième reprend la MSq N, en ramassant fortement les mSq 1, 2, 3, 4, et en développant au contraire les séquences 5 (Punition), 6 (Repentir), 7 (Épreuve), ce qui indique une transformation des modes du récit, et annonce nettement les formes nouvelles de la MSq-type dans la fin du roman. Quant au dernier récit, il reprend l’ensemble du roman, mais sans mentionner l’épisode du Pays des Jouets.

1.3.2. Caractéristiques formelles
Du point de vue formel, ces récits, qui réitèrent celui qui a été fait par le narrateur, en constituent des parodies, comme un certain nombre des discours préfabriqués qu’on a vus plus haut.


Les marques de la parodie sont différentes de celles des discours préfabriqués, car ces résumés ne sont pas en prise directe sur l’extra-texte (et donc analysables en termes d’investissements), mais sur la narration elle-même (et donc analysables en termes formels et fonctionnels).
Dès le premier récit, et, semble-t-il, une fois pour toutes, le narrateur déclare ce caractère parodique : « Geppetto che di tutto quel discorso arruf­fato aveva capito una cosa sola... ». Les deux premiers résumés sont beaucoup plus « alogiques » que les deux derniers, comme si le ‘perfectionnement’ de Pinocchio se mar­quait là aussi, ce qui correspond au fait qu’à partir de la fin de la MSq N, Pinocchio n’a plus qu’à subir quelques épreuves, moins purgatoires que glorifiantes, pour se transformer matériellement. R. Ber­tacchini a fort bien observé : « Manca insomma a Pinocchio quello che si dice tempo psicologico », et il analyse par la suite les « irrégulari­tés » de la syntaxe enfantine et populaire de Pinocchio. D’un autre point de vue, on peut relever quelques marques que Bertacchini ne signale pas, et qui abondent dans les deux premiers récits :
« ...io non volevo ammazzarlo, prova ne sia che messi un tegame sulla brace [...] e la fame cresceva sempre, motivo per cui quel vecchino [...] mi disse [...]e, perché avevo una gran fame, messi i pedi sul caldano per rasciugarmi [...] e voi siete tornato e me li sono trovati bruciati... »
« e mi disse : " To’, portale al tuo babbo", e io invece per la strada trovai una Volpe e un Gatto [...] loro non c’erano più, perché erano partiti [...] che era un buio che pareva impossibile, per cui trovai per la strada due assassini... ».
Les passages cités, et notamment les mots soulignés montrent bien que Pinocchio raconte ses propres aven­tures, non comme s’il les avait vécues, mais comme si on les lui avait racontées, en somme comme s’il les répétait à la façon d’un enfant qui récite sa leçon, sans en comprendre l’enchaînement. Mais les mots soulignés montrent surtout en quoi exactement consiste ici le procédé de la parodie.
On sait qu’il y a dans le récit une collusion de la consécution et de la conséquence, ce qui vient après étant entendu comme causé par. Or, ce qui est frappant dans les passages cités, c’est qu’ils explicitent cette confusion, en la poussant à la caricature, d’une façon très simple, à savoir en sautant, dans le résumé, une mSq du récit, ou en établissant un lien de cause à effet, de motivation (fausse), entre deux mSq. De la sorte se trouve négativement indiqué, implicitement décrit et justifié un type de récit, fondé essentiellement sur la succession très rapide des actions.
Un autre des caractères de ce type de récit, le dialogue, se trouve démarqué dans les résumés ; il paraît dans le second et le quatrième résumés, simplement reproduit, avec l’inter­calation de « et je dis », « et il dit ».
D’autre part, la présentation particulière que Pinocchio fait des personnages corrobore ce qui a été constaté dans les résumés, effectués comme si Pinocchio avait entendu et non vécu le récit.
Dans le premier et le dernier récit, en effet (récits faits tous deux à Geppetto), Pinocchio dit : « il Grillo », « il pulcino », quel vecchietto », puis « la Volpe e il Gatto », « la bella Bambina », « il Pappagallo », etc. L’effet de ce procédé ressort de la confrontation entre le second et le troisième récit : « una Volpe e un Gatto », « due assassini », puis « il Direttore di una compagnia equestre ». Dans le premier cas, les adjectifs définis semblent une référence à un récit connu, tandis que dans le second, l’information est présentée en tenant compte de l’ignorance de l’auditeur.

2. Énonciation narrative
2.1. Allocutions fictives
Je me bornerai à mentionner celles qui sont déclarées, affectées d’une marque qui signale leur importance communicative. On peut classer ces interventions en deux catégories.
2.1.1. Interventions morales.
Elles sont peu fréquentes, et on n’en trouve qu’un seul exemple net, qui figure d’ail­leurs tout au début du roman, à la fin du chapitre IX :
« E pensare che quel pover’uomo di Geppetto era rimasto a casa a tremare dal freddo in maniche di camicia, per comprare l’abbecedario al figliolo ! »
De telles remarques, si elles abondaient, feraient de Pinocchio une sorte de Cuore, et l’action extrêmement rapide du récit en serait hachée.
En fait, les interventions morales du narrateur sont très souvent mises dans la bouche d’un personnagc, protagoniste, Pinocchio, Geppetto, la Fée, ou Adjuvant, image de la conscience de Pinocchio. Le narrateur confie à des porte-parole le soin d’exprimer la morale à laquelle Pinoc­chio devrait se conformer ou a eu tort de ne pas le faire.
De la sorte, les interventions morales se trouvent présentées sous forme de citations, de discours rapportés qui, comme le dialogue, cons­tituent une zone où le discours du narrateur coïncide sans résidus – voire sans marques – avec le discours d’un personnage. En voici un exemple :
« A chiedere l’elemosina si vergognava, perché il suo babbo gli aveva predicato sempre che l’elemosina hanno diritto di chiederla solamente i vecchi e gl’infermi. I veri poveri in questo mondo, meritevoli di assistenza e di compassione, non sono altro che quelli che, per ragione d’età o di malattia, si trovano condannati a non potersi più guadagnare il pane col lavoro delle proprie mani. Tutti gli altri hanno l’obbligo di lavorare ; e se non lavorano e patiscono la fame, tanto peggio per loro »
Ce discours contient une incongruité : en effet, Pinocchio, d’une part, a très peu vu Geppetto et la proposition « gli aveva predicato sempre », est une marque, l’ ‘invraisemblance’ aisément perceptible dénonce le passage à un discours préfabriqué ; d’autre part, contrairement à ce qui se passe pour les résumés, on ne peut retrouver, dans les quelques pages où l’on voit ensemble Pinocchio et Geppetto, d’éléments auxquels puisse se raccrocher ce discours. En second lieu, le jeu du discours indirect, avec mise au présent de l’indi­catif (qui donne un aspect atemporel et prescriptif au propos), et le fait que toute la seconde partie n’est qu’un développement, une saturation formelle de la première, montrent comment fonctionnent et le méca­nisme du discours préfabriqué et celui de la transmission de parole d’un acteur à un autre (en fait, de « Geppetto » à « Pinocchio » et enfin au narrateur).

2.1.2. Interventions rhétoriques : l’identification
Les interventions ‘rhétoriques’ – qui visent la relation narrateur-auditeur – sont au contraire assez nombreuses, et confèrent en général à la narration une allure parlée qui vient com­pléter l’abondance des dialogues pour donner au récit le maximum de vivacité immédiate. Ces interventions peuvent se classer en deux catégories, selon leur fonction apparente. Tout d’abord, les interventions du type « figura­tevi », « com’è facile immaginarselo », « lascio pensare a voi », « immagina­revi », ont pour fonction de marquer le récit en tant que tel, le situer dans un axe communicatif déclaré : appel au lecteur et objectivation de la narration, où le narrateur engage le lecteur à compléter, saturer son récit de ‘détails’ réalistes, en faisant appel à la compétence de l’auditoire supposé ; ainsi s’instaure formellement une connivence, qui au plan du discours, implique le lecteur dans l’opération de création du récit, et l’invite à y investir ses valeurs.
La fonction de ces interventions est, par le recours à l’ « imagination », l’assimilation de l’auditeur au héros, puis au narrateur, proposant l’équivalence héros - auditeur - narrateur, caractéristique du ‘genre’ épique auquel appartient Pinocchio, récit générateur de mythes d’identification et de justification des droits, et tenu par un émetteur autorisé, une figure paternelle à laquelle l’auditeur est induit à s’identifier par le discours édifiant. Et il est certain que Pinocchio est un des rares textes modernes qui ait constitué un mythe au sens strict du terme.

2.1.3. Interventions rhétoriques : la compétence
Les interventions qu’on vient de voir sont essentiellement globales et statiques : elles investissent chacune, à l’occasion d’un ‘détail’, l’ensemble du récit. D’autres interventions sont plus dynamiques : les interrogations rhétoriques, qui demandent artificiellement au lecteur, non de saturer une séquence, mais de la continuer, d’inventer les séquences suivantes ; un tel procédé ouvre immédiatement le récit :
« C’era una volta...
Un re! diranno subito i mie piccoli lettori.
No, ragazzi, avete sbagliato. C’era una volta un pezzo di legno ».
Puis, l’auteur cesse d’employer ce procédé, et on ne le retrouve que vers la fin du récit, où les questions du type : « E questa sorpresa quale fu? » abondent en un petit nombre de pages.
En fait, à part la première, qui ouvre le récit, ces interrogations rhétoriques sont toutes, sauf une, concentrées dans la séquence N, l’épisode du Pays des Jouets. La différence de fonction entre ces interventions et celles qui ont été examinées précédemment tient à l’opposition
« figurarsi », « immaginare » vs « indovinare ».
Dans le premier cas il s’agit de constituer ce qui ne sera pas dit, dans le second, de tenter de prévoir ce qui est déjà constitué, sans être encore dit, et qui le sera ensuite. Ce procédé est fort développé dans le roman policier de mystère, qui joue tout entier sur la proposition implicite de solutions qui seront détruites ensuite.
On pourrait esquisser une typologie partielle des ‘genres’ d’après les modes de la ‘solution’ ou ‘décision’. Le roman policier propose et détruit successivement toutes les solutions sauf une ; le récit fantastique détruit toutes les solutions et laisse la situation indécidée ; la tragédie institue, d’acte en acte, des possibilités de solution opposées, et, ayant épuisé la combinatoire, impose en fin de compte l’une des solutions, faisant reposer la catharsis sur le fait que cette solution a déjà été indiquée. Quant au récit d’aventures, il atomise les questions, fait de chaque étape un segment susceptible de se développer dans plusieurs directions, institue l’interrogation et sollicite l’aide et la participation du récepteur, et enfin indique la direction précédemment prévue, et retardée afin de procurer au lecteur le plaisir spécifique de la narration aventureuse, l’incertitude réduite – quelquefois après une mise en scène des alternatives ‘impossibles’ (v. « La mort de Renaud », in Les grands jeux …).
De manière caractéristique, dans Pinocchio et dans les récits destinés à l’enfance en général, toute question reçoit aussitôt une réponse : mimétisation sur un mode de pensée (supposé) tout entier situé dans le présent, extrêmement mobile, mais par là même peu susceptible de conserver longtemps à la mémoire les données d’une interrogation. En revanche, le roman policier repose tout entier sur le décalage, qui s’étend sur l’essentiel du discours, entre question et réponse. Ces interrogations entrent dans le système de la relance (v. 3.3.).


2.2. Suspens et interruption
Certains découpages sont des développements de la question rhétorique. La différence est que ces points d’interrogations sont situés en fin de chapitre, et (même s’ils sont intérieurs à une MSq) constituent un procédé de suspens. De la sorte, les ‘moments de risque’ de la séquence sont mis en valeur.
– Suspens entre Dessein et Hésitation :
K9 : « Disgraziatamente, nella vita dei burattini, c’è sempre un ma che sciupa ogni cosa. ».
– Suspens entre Manquement et Punition :
B4 : « ...strillava disperatamente : Babbo mio, salvatemi! Non voglio morire, non voglio morire. »
K4a : « Lo sciagurato in quel momento non sapeva a quali paure e a quali orribili disgrazie andava incontro. »
N4 : « ... quando una mattina Pinocchio, svegliandosi, ebbe, come sí suol dire, una gran brutta sorpresa che lo messe proprio, di malumore. ».
– Suspens entre Épreuve et Secours :
K4d : « Alla fine lo persero d’occhio e non lo videro più. »
K7b : « Poi lo prese per il capo, e... »
N7 : « e il compratore, tenendo sempre stretta in mano la fune, si pose a sedere sopra uno scoglio, aspettando che il ciuchino avesse tutto il tempo di morire affogato, per poi levargli la pel­le. »
– Suspens entre Punition et Secours :
C5b : « Chiuse gli occhi, aprì la bocca, stirò le gambe e, dato un grande scrollone, rimase lì come intirizzito. »
– Suspens entre Secours et Récompense :
F8 : « E nel dir così, Pi­nocchio piangeva dirottamente e, gettatosi ginocchioni per terra, abbrac­ciava i ginocchi di quella donnina misteriosa. ».

Sur le plan de la forme de la MSq, Collodi met en oeuvre un procédé tout à fait adapté à la succession des mSq de son récit, creusant les écarts entre certaines séquences, surtout entre Manquement et Punition et entre Épreuve et Secours (couples, d’ail­leurs symétriques, à implication réciproque très forte).



3. La programmation du récit
La programmation consiste à faire savoir ce que le texte est et pourquoi il est : elle constitue l’aspect objectif de ce que l’on appelle généralement, d’un terme suspect, les intentions, mais aux ‘intentions de l’auteur’, se substitue la finalité du texte, programme du narrateur, mais aussi résultat de la dynamique propre qui peut échapper en partie à celui-ci.
Je distinguerai entre texte comme succession et comme ensemble, la succession étant prospective et accessoirement intentionnelle, l’ensemble rétrospectif et justificatif. Lorsque la programmation est explicite, elle est une prévision de clôture, une vision anticipée du texte comme ensemble.

3.1. Inscriptions de la programmation narrative
3.1.1. Programme de la succession
La programmation initiale se fait aux deux niveaux du discours et de l’histoire, et généralement dans cet ordre : c’est d’abord à la question pourquoi est le texte ?, puis à la question qu’est le texte ?, qu’il est, en général, successivement répondu. Dans Pinocchio, la programmation initiale du discours est produite dès le début : « C’era una volta […] i miei piccoli lettori […] ragazzi, avete sbagliato ». Le discours est adressé aux enfants ; cette programmation, suffisante, est réitérée à diverses reprises dans le cours du roman.
Au niveau de l’histoire, en revanche, la programmation est constamment ambiguë.
En général, et dans le cas de développement maximal et de cohérence des éléments, on a trois énonciations du programme : le titre, un compendium préliminaire, le récit lui-même. Chacune de ces énonciations constitue une boucle qui se referme sur elle-même, puis se rouvre et se sature diversement ; c’est une structure pyramidale. La description, du ‘haut’ vers le ‘bas’ vise la génération du texte (comme succession) : que devient telle partie de tel ‘étage’ lorsqu’on passe à l’étage suivant ? Du ‘bas’ vers le ‘haut’, c’est une intégration (du texte comme ensemble) : quelle est la place de telle partie du présent ‘étage’ dans la formule qui représente l’étage précédent ?
Dans Pinocchio, le titre est incertain ; rappelons que d’abord ce fut Storia di un burattino, puis (présenté comme une seconde partie), Le Avventure di Pinocchio ; le titre devenu oralement traditionnel, Pinocchio tout simplement, est typique de l’opération synthétique réalisée a posteriori : de toute la programmation, il ne reste que l’énonciation du nom du Sujet principal, du Héros. La première énonciation est réduite à un seul de ses segments.
La seconde énonciation est retardée, disjointe, ambiguë, infléchie. Tous ces caractères sont évidemment liés à l’incertitude dans laquelle Collodi se trouvait, en raison de sa paresse et de son désintérêt, quant à la progression de son livre. La programmation est tout d’abord négative : « No, ragazzi, avete sbagliato. C’era una volta un pezzo di legno. ». Programme négatif, ne pas raconter (à des enfants) l’histoire d’un roi, mais celle (laquelle?) d’un morceau de bois.
A ce point donc, la programmation est également ambiguë, car rien d’autre n’est annoncé des attributs du morceau de bois (sinon son caractère très ordinaire, négatif, en tant qu’exclusif de développements hors du commun). Elle est également fortement disjointe, car elle se présente en trois fois : lorsque Geppetto dit ce qu’il veut faire du morceau de bois, lorsque Pinocchio annonce qu’il ira à l’école, enfin lorsque Pinocchio énonce ses projets (MSq A9-B1).
Une disjonction beaucoup plus forte, et qui constitue une inflexion, car elle institue un nouveau cours du récit, sépare ce programme initial d’un autre, la promesse de la Fée à Pinocchio de le transformer en petit garçon (MSq K).
Enfin, une programmation ambiguë consiste en l’annonce des caractéristiques, et non de la teneur de la suite ; on en a un exemple à la fin du chapitre III :
« Quello che accadde dopo è una storia da non potersi credere, e ve la racconterò in quest’altri capitoli. »
Des données de programme, il ne reste que le caractère extraordinaire de l’histoire, l’intention de poursuivre le discours, l’imminence de celui-ci (questi). On trouve un élément métalittéraire curieux, et qui va dans le même sens, dans la lettre publiée dans le numéro du 10 novembre 1881 du Giornale per i bambini par son directeur Ferdinando Martini :
« Il Signor Collodi mi scrive che il suo amico Pinocchio è sempre vivo e che sul suo conto potrà raccontarvene ancora delle bellePresto presto cominceremo la seconda parte »
Les données sont identiques et il s’y ajoute une indication rétrospective « la seconda parte », qui semble signifier que l’interruption était programmée.

3.1.2. Programme de l’ensemble
Le programme de la succession, donc, était flottant et éclaté ; quant au programme de l’ensemble, c’est le récepteur qui, a posteriori, le constitue – ou plutôt le reconstitue, plus ou moins indépendamment des ‘intentions’ de l’auteur (concret).
Il ne manque pas de données qui montrent que l’écriture de Collodi, malgré ce que nous savons de sa façon de produire, n’était pas uniquement ‘projective’. Le texte de l’édition en feuilleton comprenait des éléments qui ont été, à juste titre, supprimés dans l’édition en volume. Le plus significatif est le résumé donné au début de la troisième période de publication de Pinocchio, et où Collodi reprend, sous forme de programme initial (de la succession de la suite), ce qui était le programme de l’ensemble dans une vue rétrospective de ce qui était déjà écrit :
« Vi rammentate, ragazzi, dove si rimase con la storia di Pinocchio ? Si rimase che la Fata aveva promesso al nostro burattino, in grazia de’ suoi buoni portamenti, di fargli un bel regalo : gli aveva promesso cioè, che il giorno di poi avrebbe finito di far la figura del burattino e sarebbe diventato un ragazzo come tutti gli altri. »
L’occasion concrète a naturellement joué le rôle que l’on sait en l’occurrence, il n’en reste pas moins que le procédé n’est pas sans conséquence.
Il correspond à des discours extratextuels, métalittéraires que ce soit le commentaire spécieux de programme contenu dans la lettre, citée plus haut, de Ferdinando Martini :
« Era naturale : un burattino, un coso di legno come Pinocchio ha le ossa dure, e non è tanto facile mandarlo all’altro mondo. »
ou le Prélude au début de la prétendue Deuxième Partie de l’histoire, où il est dit que tous les enfants
« faranno bene a ridare un’occhiata all’ultimo capitolo della Storia di un burattino. »

3.1.3. La clôture
La programmation initiale est une annonce de clôture tout autant que de développement. Dans Pinocchio, se trouve ainsi résolu le problème posé sur le plan du récit (Pinocchio gagne effectivement la vie de Geppetto, et il devient un petit garçon), en deux étapes qui respectent l’ordre d’énonciation (discours) des deux programmes successifs.
D’autre part, cette clôture discursive advient en général après la clôture du récit (ils furent heureux et eurent beaucoup d’enfants !) ; dans Pinocchio, la solution ‘simple’, qui fait que le programme de discours enferme le programme de récit à la manière de parenthèses, produit la fin, assez discutée sur tous les plans, où Pinocchio dit : « Com’ero buffo, quand’ero un burattino ! ».
La finition du discours, généralement dissimulée, voire abolie, dans le roman adulte du dix-neuvième siècle, a pu paraître une concession à un didactisme, en d’autres temps lié à la nouveauté de la forme romanesque, ici rapporté au ‘contenu’ (référentiel) de ce roman d’un enfant pour des enfants.

3.2. Programme et parcours narratif
Une fois refermée (fût-ce avec des disjonctions) la seconde boucle que constitue l’énoncé du programme, comment celui-ci se rouvre­-t-il ? L’exécution du programme investit la construction globale du texte.
Tout d’abord, la seconde ‘boucle thématique’ (après le titre) reste assez longuement et largement ouverte, mais cela n’a pas un grand retentissement quant à l’exécution du programme. Le ‘remplissage’ repose sur une succession d’oppositions irréductibles qui, par rapport au programme initial, se présentent comme une série de réponses oui/non à la question le programme sera-t-il réalisé ? On a, de la sorte, syn­thétisé la différence entre tragédie et comédie, d’une façon peut-être moins caricaturale qu’il n’y semble ; à la fin de la suite (impaire) des actes, la tragédie se terminerait par un non à la question Se mariera-t-on ?, la comédie par un oui, chaque acte apportant une réponse provisoire, oui ou non. Les récits qui ‘finissent bien’ ou qui ‘finissent mal’ se terminent par un oui ou un non à une question qui porte sur l’obtention d’un bien, mais aussi sur le programme mis à l’interrogatif.
Dans Pinocchio, les écarts de la ligne du programme sont des déviations d’un itinéraire ; mais les investissements sémiques qui président à ces écarts sont ambigus, dans la mesure où sont tantôt désirables des objets qui se révéleront néfastes, tantôt hostiles des objets désirés. Cette ambiguïté constitutive du récit rend compte de certains ‘détails’ surprenants, comme l’apparition de la Fée qui se dit morte, ou la rencontre de sa tombe supposée ; c’est que rien n’est sans appel dans le récit, pas même la mort, si ce n’est pour des raisons structurelles.
Le projet de Pinocchio est positif, ses écarts sont motivés par des combinaisons ambiguës (bien qui se révèle un mal), secondés par des auxiliaires également ambigus (bons et mauvais conseillers mal et bien accueillis), aboutissant à des résultats ambigus (apparente récompense tournant à la punition), et les renversements sémiques rendent compte, en même temps, du statut différent de certaines séquences de forme apparemment identique (Punition, bien devenant mal ; Épreuve, mal devenant bien).

3.3. La relance
Toute l’histoire de Pinocchio est faite de retardements, et de redoublements qui parfois peuvent sembler gratuits au plan fonctionnel local. Quelles que puissent être les motivations occasionnelles – entre autres, c’est bien connu, tirer à la ligne dans un feuilleton – la surabondance, la constance d’un procédé correspond à un caractère structurel à découvrir : le manque apparent de fonctionnalité indique seulement que la celle-ci se situe sur un autre plan.
Voici quelques exemples : la fuite de Pinocchio devant les assassins (C) est double ; l’accostage (F) dans l’Île est également raconté en deux temps, de même que la sortie du Requin ; dans ces deux derniers cas, Collodi ne prend même pas la peine de motiver la duplication (la séquence pourrait se multiplier à l’infini).
Les relances d’ordre proche ont un effet qui peut être comique, dynamique, statique.
Sont comiques : la scène où Maestro Ciliegia cherche d’où vient la voix (Chap. I), la bataille des deux petits vieux (II), les premiers tours de Pinocchio (III), Pinocchio cherchant à manger (IV), les éternuements de Mangiafoco (XI), les répétitions en écho tronqué du Chat (XII), la rencontre de Pinocchio et du Serpent (XX), les marmonnements des pêcheurs (XXIII), les appréciations du Pêcheurt Vert (XXVIII), l’adieu moqueur de Pinocchio à l’acheteur (XXXIV).
Sont dynamiques les relances des séquences : de la poursuite par les assassins (XIV), de Pinocchio frappant à la porte de la Fée (XV), des vagues qui rejettent Pinocchio en arrière (XXIV), des hésitations et de l’attente de Pinocchio devant la porte fermée de la Fée (XXIX), de la recherche de Lucignolo, puis de la discussion avec celui-ci (XXX), de l’âne qui jette Pinocchio par terre (XXXI), de la recherche de Lucignolo au Pays des Jouets (XXXII), de la poursuite par le Requin (XXXIV), de la sortie de Requin (XXXV).
Sont statiques les relances essentiellement dialogiques où Pinocchio veut vendre son Abécédaire (X), demande pitié à Mangiafoco (XI), s’entête (XIII, « Voglio andare avanti »), refuse la purge (XVIII), celles des rires du Perroquet (XIX), de Pinocchio demandant la charité (XXIV), des promesses à la Fée (XXIV), de la bataille (XXVII, « Cucù ! » et la bataille proprement dite).

3.4. Aspects et statut de la ‘gratuité’
3.4.1. « Incongruités »
Je l’ai dit, rien dans le récit n’est définitif, sinon structurellement. Rien n’est irréversible, si tout est irrévocable : ce qui s’est produit ne peut pas ne pas s’être produit, mais que ce qui semblait exclu par ce ou ces événements peut très bien se produire.
Les ‘règles de conversion’ de l’impossible au possible peuvent être soutenues par des motivations narratives de diverses sortes : c’est dans une multitude de récits ‘classiques’, la fonction du merveilleux.
La critique collodienne a relevé, avec une mB ?nutie gourmande, dans Pinocchio, diverses incongruités : Pinocchio, qui n’a pas d’oreilles (A), semble en fait ne jamais les avoir, ce qui ne l’empêche pas d’entendre ; il tend, sous la fenêtre du petit vieux, un chapeau qu’il n’a jamais eu (A5) ; sans avoir appris à lire, il déchiffre l’inscription de la tombe de la Fée (F2a).
De plus lorsqu’il est dit que le nez de Pinocchio pousse à mesure que Geppetto le retaille on passe sans transition, sans réduction, à la séquence minimale suivante :
« ma più lo ritagliava e lo scorciva, e più quel naso impertinente diventava lungo. Dopo il naso gli fece la bocca. »
Appartiennent à cette catégorie les ‘résurrections’ : la Fillette aux cheveux bleus, qui « est morte » (C), se révèle ensuite être la Fée vivante ; la Fée qui « est morte » si l’on en juge d’après sa tombe, réapparaît ensuite, attendrie, dit-elle, par la douleur sincère de Pinocchio ; le Grillon, « tué », par Pinocchio (A6a) reparaît sous forme d’ombre (C3b) ce qui est une confirmation de sa mort, puis bien vivant (O9) ; en un sens, on peut dire aussi que Pinocchio ressuscite après avoir été pendu. M. Parenti, qui a relevé les premières de ces incongruités, constate qu’après avoir apporté pour l’édition en volume quelques modifications, il semble que Collodi
« si sia divertito a inserire qualche piccolo trabocchetto all’attenzione e allo spirito critico dei suoi giovani lettori ; o, se sviste furono in origine, gli piacque, in seguito, di conservarle ».
Certes la distraction de Collodi et les conditions dans lesquelles il écrivait accréditent l’hypothèse de menues bévues dans certains cas ; mais, justement, la question est : pourquoi ces bévues, et pourquoi, par un phénomène de motivation rétrospective que Parenti a heureusement entrevu, ont-elles été conservées ? Si elles ont été conservées, c’est qu’elles avaient acquis une fonction, que l’on peut tenter d’identifier d’après les caractères communs de ces incongruités, en cherchant dans le texte, et non autour de lui (intention de tendre un piège au lecteur), posant par hypothèse que si ces incongruités se sont produites, c’est qu’elles (ou du moins leurs résultats) avaient dans le récit une nécessité que masque la ‘gratuité’ dans le discours.

3.4.2. ‘Gratuité’ figurative et nécessité narrative
On a vu que les données descriptives étaient ern quelque sorte suscitées par le récit. Les ‘inconguités’ répondent à la même motivation structurelle : un élément nécessaire apparaît soudain, comme jaillissant du néant (qui n’est jamais que le néant du non-dit ou du non-montré), à point nommé pour remplir une fonction, soutenir une action, réaliser une métaphore ou une expression toute faite. Le comique des films de Buster Keaton, par exemple, reposait sur cette ‘chance’ hilarante qui résolvait magiquement toutes les difficultés sous les pas du héros, et à son insu. La fonction narrative de l’incongruité est la production immotivée ou contradictoire d’un élément nécessaire.
Ambiguë, à la fois nécessaire et gratuite, elle est homologue à la forme générale de l’exécution du programme, selon laquelle ce qui est prévu ou souhaitable est successivement complètement possible et complètement impossible. C’est aussi une attitude magique : ce qui est nécessaire (un objet, un personnage, une notion) naît du néant, ou de sa propre négation, prend corps par le langage, de façon irréductible à une construction réaliste du monde. Si le récit était (comme cela a été dit métaphoriquement) une immense phrase, de tels procédés correspondent à l’anacoluthe, à la fausse anaphore d’un élément à reconstituer, à l’emploi de formes déterminées pour la désignation d’objets indéterminés. Cette attitude magique est ici renforcée par l’investissement pseudo-référentiel : une Fée est un être surnaturel immortel ; un pantin « a la peau dure », vraisemblable du merveilleux (pour reprendre la formulation classique de Larivaille) – ou merveilleux du vraisemblable.
Il n’y a pas à chercher des ‘explications’ vraisemblabilisantes, qui intégreraient l’apparition de la Fillette dans un système logique, ou motiveraient ses ‘résurrections’ par une fiction de sa part – encore que l’exemple des ‘mensonges’ sadiques et bien-pensants de la Comtesse de Ségur aient pu laisser quelque trace. Il suffit ici d’établir que divers procédés à résultats différents reposent sur un système commun de génération du récit. Les relances consistent en une addition d’un fragment de séquence à un fragment apparemment clos, exclusif d’un fragment de même forme et de même fonction.
La fonction du fragment redoublé retentit sur celle de sa première réalisation, lui ôte sa fonction univoque, décisive, et correspond par là à la génération globale du récit, articulé sur une série de conclusions, de clôtures qui semblent définitives et ne sont que provisoires.
Le même caractère de provisoire révélé est appliqué aux séquences correspondant à un fait apparemment irrévocable (la mort ou l’absence) : c’est seulement si l’on pense au référent (à l’objet ou à la notion en soi) que ce caractère nous ‘inquiète’ : dans l’économie du récit, ce n’est que le jeu de l’ambiguïté constitutive, de la fermeture-ouverture : la rencontre du Grillon ‘ressuscité’ n’est pas d’autre essence que celle, qui ne nous étonne pas, du Chat et du Renard réduits à la misère. Il est certain que l’auteur, dans un souci de réalisme, motive parfois certaines de ces contradictions référentielles, comme lorqu’il laisse entendre que la Fée a feint la mort (F9). En fait, les incongruités ne sont que des formes de la double orientation, positive et négative, que doivent prendre successivement certains éléments pour que le récit progresse.

3.4.3. Paraître faux et être vrai
Dans tout cela, il y a naturellement le jeu de l’apparence et de la réalité, de l’illusion et de la vérité, qui est un des moteurs du récit ; Pinocchio ne fait jamais que suivre ce qui lui paraît souhaitable, et qui se révèle néfaste.
Ses manquements comme ses épreuves se situent sur ce plan, et les éléments gratuits ou contradictoires du récit participent de cette organisation générale. Selon la fonction de la mSq, tel élément est affecté d’un coefficient positif ou négatif, qui peut être moral, ou, plus radicalement, est le coefficient d’existence ou de non-existence. On le voit en diverses occasions où Pinocchio a faim : quand ce fait est inscrit dans une séquence de Punition ou d’Épreuve, (A et K), la nourriture, si elle vient, est affectée du coefficient négatif d’irréalité : marmite fumante simplement peinte, mets de carton bouilli. En revanche, quand il ne s’agit pas d’un Manquement, ou si la Punition est déjà advenue et a été suivie de Repentir (A, F), la nourriture est positive, le repas peut être consommé. Ces renversements peuvent aller jusqu’à l’application de la règle du passif, qui fait que, de « manger », on passe à « être mangé » (épisode du Pêcheur Vert, et, indirectement, début de l’épisode de Mangiafoco). Il en est de même de la présence d’une partie du corps, d’une aptitude (savoir lire), de la mort, qui se situent simplement dans le domaine de la génération en partie spontanée du récit.

3.4.4. « Incongruité » et suspens
Ces procédés supportent également le suspens, qui consiste en une alternance intense de réponses oui-non à une question cardinale du programme. On voit aisément quelle parenté unit le suspens à la relance, de même qu’à des procédés d’interrogation laissée un temps sans réponse.
Tout ce a été dit conduit à penser qu’il y a deux types de suspens (du moins dans Pinocchio) celui qui joue sur l’alternance solution positive/solution négative, et celui qui joue sur l’alternance solution connue/solution inconnue, ce qui correspond aux positivité/négativité morale (ou modale) et existentielle, définies plus haut. Les éléments de gratuité s’inscrivent dans cette construction (suspens de la relance dans la poursuite par les Assassins, ou de la sortie du Requin). C’est parfois négativement : le surgissement d’un objet, d’une aptitude, etc. est proprement le contraire du suspens, c’est une soudaine réponse oui, donnée sans préparation alors que l’on attendait une réponse non, ou pas de réponse du tout. Il faut donc distinguer, comme en syntaxe, fonction globale et fonction interne, et l’on s’aperçoit que l’on n’a de gratuité que dans la fonction interne, d’incongruité que dans l’opposition non intégrative de deux fonctions internes, et que la motivation (le sens) est donné par l’intégration dans une unité de niveau supérieur.

3. L’énonciation du feuilleton
Un aspect significatif de l’énonciation narrative est la parution concrète du roman en feuilleton (Tableau xi). Le roman a été écrit au jour le jour, au dernier moment, avec même des interruptions très longues (une fois 3 mois et demi, une autre fois presque 6 mois).

Ch
Unités publ.
MSq
mSq
I
4345


II
5060


III
7095
A
D O H M
IV
4125
Pu
V
3905
Rp
VI
2695
E
VII
6050
S
VIII
4785
Rc
IX
4235
B
D O H M
X
3850
Pu
XI
5390
Rp E S Rc
XII
7920
C
D O H M
XIII
6105
Pu Rp
XIV
5995
Pu Rp
XV
4785
Pu Rp
XVI
5885
E S Rc
XVII
8965
E S Rc
XVIII
8415
D
D O H M
XIX
6105
Pu Rp E S Rc
XX
4675
E
D O H M Pu
XXI
4345
Rp E
XXII
5005
S Rc
XXIII
9020
F
D
XXIV
11165
D … Rc
XXV
5335
K
D
XXVI
5335
O H
XXVII
11715
M Pu
XXVIII
8745
Rp E
XXIX
12485
E S Rc
XXX
9515
N
D O H
XXXI
11550
M Pu
XXXII
10505
Pu Rp
XXXIII
14465
E
XXXIV
12650
E S Rc
XXXV
10065
P
D O
XXXVI
20020
Q
E S Rc D O E Rc
xi – le feuilleton

Le tableau met en évidence plusieurs faits de construction concrète :
– Le découpage en chapitres correspond aux livraisons, qui comprennent tou­jours un nombre entier de chapitres.
– La livraison type se situe autour de 10.000 signes, de plus en plus régu­lièrement, à l’exception de la dernière, où l’on peut supposer que Collo­di avait hâte d’en finir.
– À partir de la macroséquence C, les limites de macroséquences que je propose de re­connaître coïncident avec des fins de chapitres/fins de livraison. Comme j’ai indiqué que la Récompense est conditionnelle, cela cadre avec l’impératif du suspens du feuilleton.
– Le découpage en chapitres constitue des regroupements de mSq qui sont en petit nombre, assez régulièrement répétés :
– Dessein-Opposition-Hésitation-Manquement : iii, ix, xii, xviii, xx, xxx ;
– Épreuve-Secours-Récompense : xi, xvi-xvii, xix, xxix, xxxiv ;
– Punition-Repentir : xiii, xiv, xv, xxxii ;
– Manquement-Punition : xxvii, xxxi.
La partie centrale (Manquement, Punition, Repentir) est généralement plus ‘analysée’ (répartie en chapitres) que la partie préliminaire et la partie finale de la macro-séquence.
– Le tableau suivant montre sur la grille de l’ensemble du récit le découpage en chapitres.


A
B
C
D
E
F
K
N
P
Q
Dess.
III
IX
XII
XVIII
XX
XXIII
XXV
XXX
XXXV
XXXVI
Opp.
XXIV
XXVI
Hésit.
XXXVI
Manq.
XXVII
XXXI
XXXII
Pun.
V
X
XIII
XIV-XV
XIX
Rep.
IV
XI
XXI
XVIII
Épr.
VI
XVI

XVII
XXIX
XXXIII
Sec.
VII
XXII
XXXIV
Réc.
VIII


xii – découpage du récit et chapitres






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